L’économie numérique a-t-elle fragilisé nos métiers ?
Paul Sitbon est le co-fondateur de WikiFun.com, une plateforme locale universelle dédiée aux loisirs locaux, basée sur la contribution ouverte – wiki -, et redistribuant de la valeur pour tous. Anciennement directeur du web et de la convergence des SI chez Veolia Environnement, et directeur adjoint des achats groupe, Paul Sitbon revient sur sa vision de l’économie numérique. Tribune.
Nous avons assisté avec l’avènement d’internet et des communications mobiles à une révolution de nos modes de vie. En seulement 15 ans, les nouvelles technologies de l’information se sont propagées partout. Elles ont apporté une valeur ajoutée extraordinaire pour tous : trouver une information, la produire (wikipedia), s’orienter, trouver des objets, acheter, vendre, n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand… De nouveaux métiers sont nés: développeurs, graphistes, communicants en nouveaux médias, gestionnaire de contenus, « community managers », etc..
Mais l’économie numérique a fragilisé certains métiers, réduit les marges des distributeurs, supprimée les « intermédiaires », dans la consommation des produits comme celle de l’information. Le danger pour nos économies serait de ne pas figurer parmi les acteurs de demain dans ce domaine des nouvelles technologies d’information alors que nous avons déjà perdu notre leadership dans la production de produits manufacturés au profit des économies émergentes – Corée, Chine, etc.
L’enjeu financier et économique est considérable et a clairement été sous-estimé jusqu’à présent en France et en Europe. La liquidation de la branche logiciels pour tablettes et smartphones de Nokia, un actif exceptionnel et hautement stratégique pour l’Europe, en quelques jours et sans la moindre recherche d’une solution alternative, est l’un des exemples les plus frappants de cet abandon.
Nous faisons face aujourd’hui à trois freins principaux :
Le dispositif de financement de l’innovation est insuffisant : les start-ups innovantes dans les nouvelles technologies n’ont que très rarement accès à des aides dans des conditions correctes et se perdent dans la complexité des circuits actuels.
Les grandes entreprises ne jouent pas suffisamment leur rôle de facilitateur de l’émergence de PME innovantes qui pourraient construire et diffuser très rapidement de nouveaux produits et services.
Ne parlons pas de notre système bancaire qui considère ce sujet des technologies totalement hors scope – même quand il s’agit de crédits garantis par Oséo et l’emprunteur – et préfère concentrer ses financements sur les boucheries et épiceries, « des financements sûrs » (dixit un patron de réseau d’une grande banque française).
Et les solutions ?
Un vrai dispositif d’aide à l’innovation assistant les structures innovantes, avec une gouvernance réfléchie et un point d’accès unique afin d’éviter les déperditions.
Un « Small Business Act » favorisant le développement de l’activité entre grandes entreprises et PME innovantes aurait un effet accélérateur très important. Des incitations fiscales pour les entreprises investissant dans des TPE innovantes (ces incitations existent dans les pays qui montrent les plus belles réussites technologiques) seraient un puissant complément.
Un « Technology Act » pour les banques posant des pénalités pour celles dont l’exposition constatée au secteur serait en deça d’un seuil raisonnable, charge à elles de construire l’expertise permettant un vrai discernement dans ce domaine.
Une nouvelle partie est donc en train de se jouer et dans 5 ans les jeux seront définitivement faits. Soit la nation Europe / France a pris conscience des enjeux et s’est montrée capable de créer des dispositifs de financements puissants. La création d’emplois du numérique excèdera alors ceux qu’elle détruit. Soit elle regarde passer le train et elle devra alors se contenter des miettes que représentent l’administration et la participation au développement de plateformes venues d’ailleurs. On pourra alors considérer que malgré toutes les richesses qu’apporte le web – et elles sont absolument considérables – le solde en matière d’emplois sera malheureusement négatif. Il restera à la France sa tour Eiffel, sa cuisine et ses stations balnéaires.
Mots-clés : économie numérique, interview